Machiste, homophobe et raciste, le «Trump brésilien» cartonne
À deux mois et demi de l’élection, Jair Bolsonaro, député d’extrême droite nostalgique de la dictature, rêve de la présidence.
Par Cathy Macherel
29.07.2018
Le Brésil, pays de plus de 200 millions d’habitants, 6e puissance économique mondiale, se donnera-t-il un évangélique ultraconservateur pour président? Jair Bolsonaro, candidat du Parti social-libéral, crée la stupeur à quelques jours du 5 août, date limite pour l’investiture des candidats à l’élection très incertaine qui se tiendra en octobre. Cet homme-là est en tête des intentions de vote avec une cote de 17% (l’ancien président Lula est certes à 33%, mais il a été déclaré inéligible). L’ultraconservateur a peut-être déjà fait le plein des voix, mais il est devenu le symbole d’un Brésil toujours plus fracturé. Car à l’autre bout des courants dominants, Lula, derrière les barreaux suite à sa condamnation pour corruption, se dit toujours candidat à l’élection présidentielle et rallie les classes modestes.
«Pour le colonel Carlos Alberto Brilhante Ustra, pour l’armée, et avant tout pour Dieu, je vote oui.» Ainsi s’était exprimé le député fédéral Jair Bolsonaro au moment de voter le déclenchement de la procédure de destitution de la présidente Dilma Rousseff, le 17 avril 2016. L’anecdote en dit long sur le personnage: le colonel Ustra s’est vu attribuer par un tribunal civil la mort de 60 détenus durant la dictature militaire, de 1964 à 1985. L’homme avait torturé en personne Dilma Rousseff. En le citant, le député Bolsonaro venait donc de faire l’apologie de la dictature et de la torture, à la Chambre des députés et devant des millions de téléspectateurs.
Caricaturalement ultra
Misogyne, raciste, homophobe, Jair Bolsonaro, 63 ans, originaire de l’État de São Paulo mais ayant bâti sa carrière politique a Rio de Janeiro, cumule toutes les caractéristiques d’un bon populiste. Pour son style et ses idées, il est souvent comparé à Donald Trump. Ses frasques font régulièrement la une des médias. Élu député à Brasília depuis 1991 en changeant au moins cinq fois de parti, il a eu le temps de les multiplier. En 2014, il avait lancé à une députée de gauche: «Jamais je ne te violerai, parce que tu ne le mérites pas…» Il défend l’idée que les femmes devraient être payées moins parce qu’elles peuvent tomber enceintes. Il étale son racisme jusque dans les shows télévisés. Il a par exemple clamé que ses fils – tous trois engagés en politique – ne sortiraient jamais avec des femmes noires «parce qu’ils ont été bien éduqués». Il est pour le rétablissement de la peine de mort et veut armer chaque «honnête citoyen», comme aux États-Unis. Il défend aussi la torture pour les trafiquants de drogue et les mauvais traitements infligés aux enfants «si ceux-ci présentent des tendances homosexuelles».
Une parole libérée
En 2016, ce catholique s’était converti à une Église baptiste évangélique, en prenant soin de faire filmer son baptême dans les eaux du Jourdain. Un joli coup pour ses ambitions politiques. Ses principaux soutiens se recrutent au sein de trois secteurs clés au Brésil: les courants évangéliques, l’armée et l’agrobusiness.
Longtemps considéré comme un trublion au poids politique marginal, ce capitaine de réserve a profité d’un contexte favorable pour se placer dans la course, se forgeant une image de bon chrétien, de patriote et d’homme intègre dans un Brésil rongé par la corruption et la violence. Et devant l’hypothèse d’un retour en politique de l’ex-président Lula, il s’est positionné comme l’homme qui peut faire barrage à ce «communisme» qu’il exècre.
«Bolsonaro est le produit d’une parole ultraconservatrice qui s’est libérée dans le pays, en lien avec la crise économique et la perte de confiance des Brésiliens dans leurs élites», souligne le politologue Gaspard Estrada, directeur de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes, à Sciences Po (Paris). «Il rallie des voix dans les classes moyennes et aisées du sud du pays, et auprès d’une partie de la jeunesse adhérant à l’ultralibéralisme.» Mais pour l’expert, le phénomène, bien que bénéficiant de puissants relais, ne va pas durer: «Bolsonaro aura beaucoup de mal à nouer des alliances, les milieux d’affaires ne le soutiennent pas. Or, traditionnellement, le Brésil se gouverne au centre, et il est très difficile de changer cette donne.»
Les penchants militaro-nationalistes du candidat sont un sérieux handicap pour rallier le soutien des milieux d’affaires. Pas besoin, d’ailleurs, de le pousser beaucoup pour qu’il dévoile ses faiblesses. Le jour du lancement officiel de sa candidature à la présidence, dimanche 22 juillet, Jair Bolsonaro avouait sans complexe dans une interview à «O Globo» ne rien connaître à l’économie, mais soutenait qu’il saurait se faire conseiller par ses gourous. Il avait aussi dit précédemment qu’il verrait bien, pour gérer le pays, quelques militaires à des postes clés.
Lula en prison, mais toujours devant
Plus de 5000 personnes ont participé ce samedi au festival «Lula libre» organisé à Rio de Janeiro pour réclamer la libération de l’ex-président Lula, incarcéré pour corruption. Une quarantaine d’artistes, dont Gilberto Gil et Chico Buarque, s’y sont produits. L’ex-président Lula, condamné à une peine de douze ans de prison et incarcéré depuis le mois d’avril, se dit toujours le candidat à la présidentielle du Parti des travailleurs. Et il caracole en tête des sondages, avec 33% des intentions de vote. Depuis sa cellule, il dénonce un complot politique. Interdit d’expression à la radio et la télévision, Lula a fait paraître le 19 juillet dans la «Folha de San Paulo» une lettre ouverte au peuple brésilien, énumérant les maux qui accablent le pays et accusant ceux qui l’ont mis en prison pour le «faire taire». «Je peux être physiquement dans une cellule, mais ceux qui m’ont condamné sont en réalité les prisonniers du mensonge qu’ils ont construit», écrit-il. Lula avait notamment été accusé d’avoir touché un pot-de-vin sous la forme d’un luxueux appartement, en lien avec le scandale Petrobras. «Mais la justice a tranché en admettant qu’il n’y avait pas preuve formelle. Cette condamnation a une dimension politique», note le politologue Gaspard Estrada. Tout porte à croire que la justice électorale va invalider sa candidature en vertu d’une loi qui rend inéligible toute personne condamnée par une cour d’appel. Mais au Brésil, un rebondissement n’est pas à écarter. «Il reste encore à Lula des possibilités de recours, tout n’est donc pas terminé», relève Gaspard Estrada. C.M. (TDG)