(24/10/2017- Governador Valadares- MG, Brasil- Lula visita Bacia do Rio Doce em Governador Valadares. Foto: Ricardo Stuckert)
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Publié en le blog de Jean-Luc Melenchon
Par Jean-Luc Melenchon
Observer et suivre les évènements en Amérique du sud est un devoir pour une conscience politique contemporaine. C’est là-bas qu’a été rallumé le feu de l’action gouvernementale anticapitaliste dans la période post-soviétique. C’est là-bas l’espace où se confrontent avec le plus d’âpreté les stratégies de conquêtes du pouvoir entre oligarchie et peuple avec une participation directe et ouverte des USA. C’est une sorte de résumé brutal de ce qui nous peut ensuite nous arriver sur le vieux continent dans une forme adaptée à nos latitudes.
Actuellement, de nouveau, après la décennie des déroutes des oligarchies et de leurs parrains nord-américains, d’un pays à l’autre, se déploie une stratégie revancharde de lutte dure contre la gauche. Et cela qu’elle soit au pouvoir ou au combat pour le reprendre comme au Brésil.
Les méthodes varient souvent d’un pays à l’autre. J’y vois des signatures différentes selon les liens à Washington du proconsul des États-Unis qui officie localement. La technique du gros bâton est toujours là, comme au Honduras où le résultat de l’élection a été aussi grossièrement inversé qu’il l’avait été il y a cinq ans au Mexique contre Andres Manuel Lopez Obrador (voir le cas dans la série El Chapo, où il est nommé Labrador…). Les opposants y sont ensuite méthodiquement persécutés de toutes les façons possibles. On a vu aussi les méthodes de déstabilisation violente et conspirative comme au Venezuela avec l’appui de tout l’appareil mondial du parti médiatique. Le dernier numéro de Match est un exemple récent des plus risibles tant il est grossièrement mensonger et manipulatoire. Sans oublier les cris de rage du commandant Saul, ancien chef de la fraction rouge de l’armée révolutionnaire du peuple en Argentine des années 70, aujourd’hui « journaliste » au Monde sous le nom de Paulo Paranagua, militant politique dégoulinant de haine ultra-droitière.
Mais on note aussi comment la guerre qui nous est menée sur le terrain prend dorénavant souvent le chemin d’une instrumentalisation des moyens de justice. Il s’agit alors, pour terrasser le parti populaire, d’envoyer ses dirigeants en prison ou de les placer sous le coup de procédures judiciaires infamantes et interminables. C’est au point que dans sa forme la plus grossière on peut parler de coup d’État institutionnel. Ce fut le cas au Paraguay contre le président en exercice que le tribunal constitutionnel a purement et simplement déchu. Un scénario comparable avait été organisé contre Manuel Zelaya au Honduras. Et, bien sûr, la destitution de Dilma Roussef au Brésil a été un monument dans ce domaine.
Poursuivie par des corrompus notoires eux-mêmes pris dans toutes sortes de procédures judiciaires la présidente a été destituée sans un mot de soutien ou un geste d’aide de ses nouveaux amis des PS du monde qui l’avaient pourtant tant aimée. À Paris où elle avait craint de nous rencontrer de peur d’indisposer le gentil François Hollande, nous fûmes bien seuls à défendre son honneur et celui du peuple brésilien qui résistait contre ce coup d’État.
Le Brésil n’est pas seulement la grande puissance du cône sud. Il n’est pas seulement la population la plus nombreuse de cet espace. Il est une composante fondamentale des BRICS, cette alliance politico-économique informelle de la Russie, de la Chine de l’Inde et de l’Afrique du sud. 40% du PIB mondial. Un attelage qui a décidé de commercer entre soi en monnaie nationale sans passer par le dollar. Une menace mortelle pour la super-puissance.
À la veille de nouvelles élections présidentielles, la lutte pour le pouvoir dans ce pays prend une dimension géopolitique essentielle. Tous les sondages donnent gagnant Lula, le fondateur du parti des travailleurs, qui a déjà gouverné avant Dilma Roussef et ouvert le cycle des victoires populaire sur ce continent. L’abattre est donc un objectif vital pour l’oligarchie et les USA. Heureusement survivant d’un cancer, Lula a donc été attaqué sur le front judiciaire comme l’avait été Dilma Roussef. Et Lula a été condamné en deuxième instance mercredi 31 janvier par le tribunal régional de Porto Alegre à 12 ans de prison ferme. Cette sentence vient alourdir celle de neuf ans qui avait été prononcée en première instance.
L’ancien Président du Brésil et de nouveau candidat est accusé de corruption. Cependant, compte tenu de la faiblesse voire l’inexistence des preuves apportées par l’accusation pendant son procès, il est clair aux yeux de tous les observateurs qu’il s’agit d’une manœuvre pour l’empêcher de devenir à nouveau Président. Le procès lui-même est entaché de nombreuses irrégularités. Les juristes de plusieurs pays l’ont pointé du doigt. Des « aveux » de témoins ou parties prenantes ont été échangés contre des récompenses. La connivence entre les juges de première et de deuxième instance était visiblement étalée sous les yeux du public. Certains faits que la sentence cherche à démontrer sont même incompatibles avec l’objet même de l’accusation portée contre Lula. Ce « procès » illustre bien cette nouvelle méthode du « coup d’État institutionnel ».
Avant Lula, je l’ai dit, ce fut Dilma Roussef, présidente du Brésil jusqu’en 2016, qui eut à en faire les frais. Elle était issue comme Lula du Parti des travailleurs (PT). Elle a été élue deux fois, en 2010 puis en 2014. Mais la Présidente a été destituée en 2016 par le Sénat, dominé par la droite réactionnaire. Les conspirateurs avaient alors pris prétexte du scandale de corruption qui secouait la société brésilienne à propos de la proximité entre la compagnie pétrolière nationale, Petrobras, et le monde politique. Un prétexte totalement fallacieux et qui rend la procédure illégale puisque Dilma Roussef n’était pas impliquée dans cette affaire. Par contre, celui qui a accédé au pouvoir suite au coup d’Etat, Michel Temer, a été accusé quelques mois plus tard de corruption dans cette même affaire ! Bien sûr, dans son cas, le Parlement où siègent ses amis a voté majoritairement pour qu’il conserve son immunité et ne soit pas jugé.
En tous cas, par cette méthode depuis 2016, la droite revancharde et pro-étasunienne occupe le pouvoir au Brésil sans y avoir été élue. C’est pour répondre à cette situation que Lula a décidé de revenir en première ligne et de se présenter aux prochaines élections présidentielles qui se tiennent en octobre. Les sondages le donnent gagnant. D’où l’urgence pour l’oligarchie et les USA de l’en empêcher. Lula va malgré tout continuer sa campagne. Un recours devant le tribunal suprême fédéral a donc été déposé. Et Lula fera campagne, même depuis la prison.
Le cas de Lula est important. C’est une bataille décisive pour contrer la tentative de reprise en main générale des gouvernements d’Amérique latine par les États-Unis. Car, je l’ai dit, le Brésil n’est pas le seul pays concerné par la méthode du « coup d’État institutionnel ».
Au Honduras, l’opposition populaire s’est faite voler sa victoire aux élections en novembre dernier. En effet, au fil du comptage des voix, l’avance de son candidat, Nasralla, se confortait au point que le tribunal électoral déclare « un résultat irréversible ». C’est alors qu’une opportune panne des serveurs empêcha de remonter 30% des résultats restant encore à décompter. Le pouvoir en place envoya alors l’armée chercher et escorter les urnes. Après quatre jours de silence total sur l’évolution des résultats, la victoire du Président de droite, Hernandez, fut déclarée avec 0,1% d’avance sur Nasralla. Il convient de rappeler qu’Hernandez est lui-même issu d’un coup d’État perpétré en 2009 par les forces armées. Le Président d’alors, Manuel Zelaya, avait voulu convoquer une Assemblée constituante.
En Équateur, c’est le successeur de Rafael Correa, élu sur son héritage et avec son appui, Lenin Moreno qui s’est lui-même chargé de trahir et de réaligner son pays sur les États-Unis. Il gouverne avec la droite, appliquant des politiques contre lesquelles Rafael Correa avait été porté au pouvoir par le peuple équatorien. Et contre lesquelles lui-même avait été élu. Les observateurs ont été consterné par sa volteface. Il s’est aligné soudain si grossièrement et si brutalement sur les intérêts états-uniens qu’on peut se demander s’il est réellement libre de ses décisions.
Là encore, les formes juridiques sont appelées à la rescousse pour ficeler l’adversaire. Moreno a donc convoqué un référendum dont le seul objectif est d’empêcher Correa de se représenter contre lui. La bataille fait rage. Elle passe beaucoup par les prétoires. Le 17 janvier dernier, le comité national électoral a refusé l’enregistrement officiel du nouveau parti créé par Correa prenant prétexte de « manquements règlementaires ». C’est donc avec le mouvement « Révolution citoyenne » que l’ancien Président mène désormais une campagne active contre le référendum constitutionnel convoqué par Lenin Moreno le 2 février. Dans un entretien récent avec le journal espagnol El Mundo, il qualifiait lui aussi la situation en Équateur de tentative de « coup d’État ». En effet, avant de s’en prendre à l’ancien président Rafael Correa, l’équipe de Moreno a déjà fait emprisonner le vice-président élu en même temps que lui pour « corruption ». On comprend donc que c’est une victoire par KO que vise cet assaut.
La conjonction de la réaction et du recours aux formes institutionnelles pour habiller les coups de force se répand en s’adaptant à chaque pays. Mais la signature opérationnelle est la même partout. En Argentine, Cristina Kirchner est elle aussi visée par le même type d’accusations avec le même objectif de l’empêcher de se représenter. Je compte bien la recevoir bientôt à Paris si le juge la laisse sortir d’Argentine. Car je sais que la vague démocratique de la décennie précédente n’est pas épuisée, sur ce continent. Loin de là. Certes, des observateurs superficiels lui appliquent des grilles d’analyses européo-centrées. Pour eux, l’alternance est aussi inévitable que n’importe quel cycle de la nature. C’est le regard qu’ils ont déjà appliqués à l’Europe en dépit de tous les démentis complexes que les faits leur ont opposés. Il les rend en tous cas incapable de comprendre le rôle et la dynamique spécifique du dégagisme. Par exemple, l’Argentine est la patrie de ce « dégagisme » politique qui court ce monde de la mondialisation libérale à bout de souffle.
La technique du coup d’État institutionnel est le complément indispensable du coup d’État social qui se déchaîne dans tous les pays où existe un état social, si peu développé qu’il soit. En France on va observer ce phénomène dans sa version certes soft mais néanmoins bien nette. Le pouvoir exécutif cherche à renforcer son pouvoir de toutes les façons possibles. La réforme institutionnelle annoncée prévoit donc un affaiblissement supplémentaire du pouvoir législatif au profit de l’exécutif. Ce durcissement passera pour une aération des institutions politiques. En réalité il s’agira d’un barriérage supplémentaire pour enfermer la volonté populaire dans un système de représentation de plus en plus cadenassé par la prééminence présidentielle. En matière de sourire grinçant, c’est ce qu’on appelle la dictamolle. Un mot venu de l’Amérique du sud où l’on oppose la « dictadura » à la « dictadulce ». Entre les deux, la frontière se franchit plus vite qu’entre dictature et démocratie. On vient de le voir au Honduras